Le projet de réaliser des photographies uniques d'une même scène dans le cadre du weekend Freedmen 2024 a plusieurs origines, au delà du désir nécessaire de proposer quelque chose de différent pour cette nouvelle collaboration avec l'association fétichiste.
Le retour à une certaine idée de la reproduction d'une œuvre
L'art s'exprime depuis la naissance de l'humanité, comme en témoignent les peintures rupestres. L'homme a toujours cherché à s'exprimer par la création.
A l'inverse, la facilité de reproduire et dupliquer une œuvre qu'elle soit picturale ou musicale date de techniques très récentes à l'échelle de l'humanité, qu'il s'agisse de captation photographique ou sonore, et de procédés physiques, chimiques ou de numérisation.
Le spectacle vivant lui même peut être reproduit à l'identique au moyen des techniques audiovisuelles.
Les grands peintres de l'histoire pourtant, ont été intéressés à la reproduction de leur œuvre bien avant la naissance de ces techniques avec un constat bien simple : il fallait tout refaire ! Ainsi connaît on de nos jours deux versions du garçon mordu par un lézard du Caravage. Cet exemple n'est pas unique, ce dernier a réalisé de nombreux tableaux en double, la disposition des objets de la scène pouvait changer, les modèles eux-mêmes, parfois, étaient différents.
Plus récemment, au XIXème siècle, Simonet a réalisé au moins 2 versions de la décapitation de saint Paul, la plus célèbre étant évidemment dans la cathédrale de Malaga, mais quelle surprise de trouver une version réduite dans le musée de la même ville !
Légères variations ou fidélité absolue à l’œuvre originale, les artistes amenés à reproduire une œuvre avaient une liberté qui s'est perdue avec le copier-coller, ou avec la diffusions en masse d'un même cliché sur de multiples écrans.
Retrouver cette liberté de refaire une même œuvre, en usant ou pas de la possibilité de la faire varier sensiblement est une des raisons motivant le projet de photo unique organisé lors du weekend Freedmen 2024
Une ouverture à la réflexion sur la valeur de l'art à l'heure de la reproductibilité et de la numérisation
Le XIXème et le XXème siècle ont été le théâtre de révolutions dans les possibilités de reproduction des œuvres. Les moyens techniques ont permis de diffuser la culture mais ont été l'objet de critiques dont les plus célèbres sont signées Walter Benjamin (1) et Theodore Adorno (2).
Le premier affirme « ce qui dépérit à l'époque de la reproductibilité technique de l’œuvre d'art, c'est son aura »; ce qui d'une façon le libère des pouvoirs exogènes souhaitant utiliser cet aura, mais fait aussi de l’œuvre reproduite une simple marchandise. Adorno lui étudiera les produits standardisés et leur rôle pour l'industrie culturelle elle même au service de l'uniformisation des modes de vie, visant à la domination de logiques économiques et de pouvoirs autoritaires, vus comme capitalistes.
Ces auteurs, dont les réflexions ont dépassé les cercles marxistes avec les années, ont été étudiés par Das Knup durant ses études. Néanmoins il ne souhaite pour autant pas faire de son projet une plate forme politique. L'école critique de Francfort à laquelle s'apparentent ces deux auteurs ne cachait pas par exemple son obédience marxiste et nul besoin d'être familier de Marx pour se prêter au jeu, comme modèle, ou spectateur d'une future exposition.
Si le fond n'est donc pas politique, la démarche l'est par contre au sens où l'auteur souhaite inviter le plus grand nombre à réfléchir au sens, à la valeur d'une œuvre d'art, et à celle de ses reproductions, à l'heure où celle-ci n'a jamais été si aisée. C'est tout le sens du travail qu'il propose de réaliser avec ce projet.
En effet, si les réflexions de Benjamin et Adorno sont liées avec l'industrialisation de la culture et la reproductibilité des œuvres, que penser de la numérisation qui permet à cette reproduction d'être désormais effectuée de façon illimité pour un coût marginal, et le tout sans perte ? et comment évaluer la valeur de milliards de photos identiques qui encombrent les réseaux sociaux et autres plate formes en ligne, sans même parler des serveurs de sauvegarde de celles ci ? immédiatement consommées, oubliées et à jamais dormantes sur des serveurs éparpillés dans le monde.
Il n'a en effet jamais été aussi simple de stocker partout en même temps des œuvres photographiques, musicales, vidéo, multimédia ... sans qu'elle ne soient jamais ni vues, ni entendues ni pratiquées.
Afin d'inciter à un nouveau regard sur l'art, Das Knup propose donc de revenir à des tirages uniques, sur des supports matériels, excluant toute existante numérique supérieur à 2000 pixels de côté. Cette démarche, avec ironie, ne renie aucunement l'intérêt de la reproduction des œuvres puisqu'elle est justement basées sur l'idée de créer plusieurs fois une même scène.
1 - https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27%C5%92uvre_d%27art_%C3%A0_l%27%C3%A9poque_de_sa_reproductibilit%C3%A9_technique
2 - https://fr.wikipedia.org/wiki/Dialectique_de_la_Raison
2 - https://fr.wikipedia.org/wiki/Dialectique_de_la_Raison